Les lointains intérieurs de Giuliana Gironi
Il était une fois… Ainsi commencent souvent les histoires qui font semblant d’être imaginaires alors qu’elles puisent en nous leurs propres sources. N’est-ce pas ce que nous dit Giuliana Gironi en faisant jaillir, de ses grands carrés magiques, un monde, à première vue, onirique?
Les couches de sens s’y superposent avec délicatesse ou énergie, comme autant d’appels venus de « lointains intérieurs », chers au poète Henri Michaux. Strate sur strate, elles sont l’image du temps qui passe, comme l’étaient pour les mineurs de fond, celles des parois de charbon, étincelantes de force et de beauté. Le haut n’est-il pas aussi en bas? Le léger, l’écho du plus lourd? L’aérien, celui du terrestre? Cette dualité, intérieur-extérieur, est, ici, magnifiquement transcendée.
Posées une à une avec la patience des mères d’autrefois qui brodaient, à même le métier, leur solitude ou leur enfermement, les couleurs, souvent rompues, évoquent un espace-temps oscillant entre songe et vie vécue, clair-obscur et pleine conscience.
Une fluidité anime les longues apnées picturales de l’artiste, doublée d’un souffle venu de sa forge intime. Gaston Bachelard aurait aimé ces évocations où Giuliana Gironi marie les éléments, d’autant plus qu’il a longuement analysé le domaine des rêves.
On entre alors sans hésiter dans l’oeuvre offerte comme un miroir tourné vers notre propre histoire. Et quand le regard pénètre plus avant dans l’épaisseur des sujets recomposés, remodelés, surgissent des personnages -bêtes, fillettes, chimères- qui évoluent dans un jardin mythique, secret, illimité, infranchissable, comme ce qui sépare ce que nous sommes de ce que nous avons été.
Oui, imaginer, c’est hausser le réel d’un ton1 . Peindre, c’est sortir des limites de l’être pour pour pénétrer dans un hors-temps qui ne relève d’aucune science-fiction, qui ambitionne au contraire, ici et maintenant, de toucher, d’émouvoir, de secouer, de secourir, de réveiller la petite Alice perdue ou abandonnée en chacun de nous.
Faire ce voyage en compagnie d’un elfe, un cerf, un papillon, une biche, un pré, une forêt, c’est faire allégeance à la fragilité, en tisser l’éloge pour en garantir l’humanité et se protéger de la barbarie qui, partout, menace. Poésie, surréalité, musicalité, fraternité, du vivant! Soeur de l’herbe, de l’oiseau, de la beauté, Gironi, de toute sa tendresse incarnée, sensuelle et maîtrisée, nous incite à dépasser nos angoisses pour faire danser la vie. Son univers, souple et somptueux, va au-delà de ce qui nous assigne. Entrer dans ses toiles, se glisser entre le souvenir d’un papier peint et la chorégraphie des possibles, voila ce à quoi nous invitent ses métaphores acryliques dont il y aurait beaucoup à dire.
La métamorphose sera au rendez-vous, car toute oeuvre, digne de ce nom, a pour mission secrète de modifier ce qui, en nous, sclérosé par la vie quotidienne, refusait de s’ouvrir.
Alors, gravons ses peintures poétiques en nos mémoires, comme autant de contes à rêver debout. ©Béatrice Libert 2020